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L’histoire d’Amanda Todd était annonciatrice de la violence exercée sur les enfants d’aujourd’hui. Pourquoi n’avons‑nous rien fait?


Un texte de , directrice générale du Centre canadien de protection de l’enfance

Au printemps 2013, la mort tragique de quatre jeunes filles canadiennes au cours des trois années précédentes – Amanda Todd, Rehtaeh Parsons, Jenna Bowers‑Bryanton et Kimberly Proctor – nous a fait prendre conscience de la réalité de la cyberviolence. Leurs vies ont toutes été écourtées, en partie à cause d’une menace commune : les technologies numériques et les médias sociaux.

Le tollé provoqué par ces morts a été suivi d’une série de réunions d’urgence à Winnipeg entre le premier ministre de l’époque, Stephen Harper, les familles de ces pauvres filles et mon organisation, le Centre canadien de protection de l’enfance.

Je me souviens encore de ces réunions. Un véritable sentiment d’urgence et de détermination régnait dans la salle. Nous étions optimistes quant à notre capacité à résoudre les problèmes qui mettaient nos enfants en danger sur Internet.

« Notre société doit mettre tout en œuvre pour éviter que ce qui est arrivé à ces belles jeunes filles arrive aussi à d’autres de nos beaux enfants dans le futur », avait déclaré M. Harper à la presse lors d’une table ronde organisée en 2013.

À la fin de la semaine dernière, un immense sentiment de soulagement m’a envahi quand j’ai appris que le Néerlandais qui avait tourmenté Amanda Todd, une jeune fille de 15 ans qui s’est par la suite enlevé la vie, avait été reconnu coupable d’extorsion, de harcèlement, de communication avec une jeune personne en vue de commettre une infraction sexuelle et de possession et distribution de pornographie juvénile par la Cour suprême de la Colombie‑Britannique. Il aura fallu dix longues années, des ressources incalculables et un engagement concerté des forces de l’ordre et des représentants de la justice, mais son agresseur a finalement été traduit en justice.

Or, dans mon bref entretien avec Carol – la mère d’Amanda – la semaine dernière, j’ai bien vu qu’elle ne baisse pas sa garde. Elle insiste plutôt sur la nécessité d’en faire plus.

Parce qu’elle sait ce que mon organisation sait : en ce moment même, il y a beaucoup d’autres enfants dans ce pays qui se battent en silence, souvent sous nos yeux, contre des cyberprédateurs. Il y en a beaucoup plus que ce que le public ou les parents pensent.

Les statistiques dévoilées par les forces policières canadiennes, les signalements faits par les victimes et l’avalanche de jeunes Canadiens qui s’adressent à notre organisation pour avoir de l’aide sont les symptômes d’une urgence de sécurité publique qui se dessine devant nous. Et ce n’est que la partie visible de l’iceberg, puisque les médias sociaux qui n’existaient même pas en 2013 occupent désormais une place incroyablement grande dans la vie de nos vulnérables ados.

L’histoire d’Amanda Todd a préfiguré, avec dix ans d’avance, la crise actuelle de la sextorsion, qui frappe de plus en plus les garçons au Canada. Pourtant, malgré les quelques mesures qui ont finalement vu le jour dans la foulée des réunions de 2013 – dont la création d’une nouvelle infraction pénale pour la distribution non consensuelle d’images intimes – rien n’est fait pour agir à la racine du mal : les espaces numériques où les délinquants pédosexuels anonymes jouissent d’un accès direct à nos enfants 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.

Les signalements que le public nous transmet par centaines cette année seulement donnent à penser que les délinquants pédosexuels profitent de notre laxisme vis‑à‑vis de ces plateformes et ciblent des enfants en grande partie sur Instagram et Snapchat – des applis que pratiquement tous les enfants d’âge scolaire utilisent tous les jours.

Il y a quelques mois à peine, Daniel Lints, un garçon tendre et affectueux du village de Pilot Mound, au Manitoba, s’est suicidé à l’âge de 17 ans, victime d’un maître chanteur anonyme sur Internet qui menaçait de distribuer des images intimes de lui à ses proches et amis. « C’est comme si on l’avait assassiné », a déclaré son père, en larmes, à la Presse canadienne.

Contrairement à tous les autres secteurs d’activité de ce pays, les plateformes de médias sociaux ne sont pas obligées par la loi de satisfaire à des normes de sécurité. On n’ordonne pas de rappel lorsqu’on découvre qu’une plateforme ou un site Web présente des défauts de conception qui causent du tort à nos enfants ou qui, à tout le moins, posent un risque. Au lieu de cela, alors même que les signalements de cyberviolence continuent d’affluer, le discours se concentre essentiellement sur ce que les parents doivent faire pour protéger leurs enfants, comme si la violence était inévitable. Rares sont ceux qui demandent des comptes aux entreprises derrière ces applis qui permettent à cette prédation et à cette violence de s’exercer.

La vérité est que nous sommes tous complices d’un statu quo où les entreprises de technologie ont le champ libre pour coloniser nos vies numériques sans surveillance, quitte à compromettre la sécurité de nos enfants.

Nous devons agir de toute urgence et exiger des remparts numériques pour protéger nos enfants. Nous le devons à tout le moins à ces quatre filles qui ont mis les Canadiens en garde il y a dix ans.

Ce texte d’opinion a été publié dans le Globe and Mail le 17 août 2022.

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Un mot sur le Centre canadien de protection de l’enfance : Le Centre canadien de protection de l’enfance (CCPE) est un organisme de bienfaisance national qui se consacre à la protection personnelle de tous les enfants. Il veut réduire l’exploitation et les abus sexuels d’enfants et offre à cette fin des programmes, des services et des ressources aux familles, au personnel éducatif, aux organismes de services à l’enfance et aux forces policières du Canada ainsi qu’à d’autres intervenants. Cyberaide.ca — la centrale canadienne de signalement des cas d’exploitation et d’abus sexuels d’enfants sur Internet — relève aussi du CCPE, de même que Projet Arachnid, une plateforme Web qui détecte les images d’abus pédosexuels connues sur le Web visible et le Web clandestin et qui envoie des demandes de suppression à l’industrie.

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