L’obligation de confirmation de l’âge est nécessaire afin que les services réglementés puissent remplir leurs obligations à l’égard des enfants au titre du projet de loi sur les préjudices en ligne
Points à retenir
- La Loi sur les préjudices en ligne obligerait les services de médias sociaux, y compris les services de diffusion en direct et de contenus pour adultes mis en ligne par les utilisateurs, à mieux protéger les enfants.
- Or, le projet de loi C-63 ne prévoit pas d’obligation de vérifier l’âge des utilisateurs.
- On ne voit pas très bien comment les fournisseurs de services en ligne pourraient s’acquitter de leur obligation de protéger les enfants sans que la confirmation de l’âge ne leur soit aussi imposée.
- Le gouvernement s’est dit publiquement ouvert à un débat plus approfondi sur la question, affirmant que le projet de loi C‑63 « comprend » des dispositions sur la vérification de l’âge.
- Recommandation : Modifier le projet de loi sur les préjudices en ligne pour y inclure explicitement l’obligation pour les fournisseurs de services en ligne soumis à la réglementation d’utiliser des mesures efficaces de confirmation de l’âge.
Objet
Cette note d’information vise à informer le lecteur que, aux yeux du Centre canadien de protection de l’enfance (CCPE), l’absence d’obligations de confirmation de l’âge dans le projet de loi sur les préjudices en ligne (projet de loi C-63) remet en question la capacité des fournisseurs de services en ligne réglementés à remplir leurs obligations spécifiques à l’égard de leurs utilisateurs enfants et compromet du même coup l’efficacité du régime de sécurité en ligne proposé. Le CCPE recommande que le projet de loi sur les préjudices en ligne soit modifié pour inclure expressément des obligations de confirmation de l’âge, reconnaissant que les détails de ces obligations pourraient devoir être précisés dans le règlement.
Enjeu
La sécurité des enfants est un aspect majeur du projet de loi sur les préjudices en ligne. Trois des sept types de contenus préjudiciables visés par le projet de loi concernent spécifiquement les enfants :
Le terme « contenu préjudiciable » signifie :
[...]
b) contenu représentant de la victimisation sexuelle d’enfants ou perpétuant la victimisation de survivants;
c) contenu poussant un enfant à se porter préjudice;
d) contenu visant à intimider un enfant;
De plus, l’un des principaux devoirs de diligence prévus par la loi concerne spécifiquement les enfants :
Obligation de protéger les enfants
64 L’exploitant est tenu de protéger les enfants à l’égard du service réglementé qu’il exploite en se conformant à l’article 65.
Caractéristiques de conception
65 L’exploitant intègre au service réglementé qu’il exploite toute caractéristique de conception relative à la protection des enfants prévue par règlement, telles que des caractéristiques de conception adaptées à l’âge.
Cette disposition oblige effectivement les plateformes à protéger davantage les enfants (davantage que les adultes). Ces mesures de sécurité seront détaillées dans le règlement; il pourrait s’agir de caractéristiques de conception adaptées à l’âge, de normes de sécurité incorporée, de paramètres par défaut, de contrôles parentaux, de paramètres de confidentialité, etc.
La version actuelle du projet de loi C-63 ne contient toutefois aucune disposition qui obligerait expressément les services en ligne réglementés à utiliser des techniques de confirmation de l’âge pour déterminer lesquels de leurs utilisateurs sont des enfants. En l’absence de telles dispositions, on ne voit pas très bien comment le gouvernement s’attend à ce que les fournisseurs de services en ligne s’acquittent de leur obligation de protéger les enfants ou démontrent qu’ils respectent la Loi dans le cadre d’un plan de sécurité numérique. On craint également qu’en l’absence d’une telle obligation, les services réglementés n’exploitent cette faille pour se justifier de se soustraire à leur obligation de protéger les enfants comme la Loi l’exige.
Il convient de noter qu’il n’y a rien dans le projet de loi C-63 qui puisse empêcher l’imposition d’une telle exigence dans le règlement.
Examen de la question
Initiatives stratégiques nationales en faveur de la confirmation de l’âge
Dans les dernières années, un certain nombre d’initiatives stratégiques au Canada se sont orientées vers ou intéressées à la confirmation de l’âge en ligne comme moyen de limiter les préjudices causés aux enfants.
Le 11 avril 2019, Santé Canada a publié un document de consultation exploratoire intitulé « Réduire l’accessibilité des produits de vapotage pour les jeunes : Consultation sur les mesures réglementaires possibles1 ». L’objectif était d’évaluer l’opportunité de mesures réglementaires supplémentaires pour protéger les enfants. Différentes options réglementaires ont été proposées, dont une nouvelle mesure visant à limiter davantage l’accès aux produits de vapotage en imposant aux détaillants en ligne l’utilisation de techniques améliorées de vérification de l’âge.
Le 24 novembre 2021, la sénatrice Julie Miville-Dechêne a présenté un projet de loi d’initiative parlementaire au Sénat. Le projet de loi S-210 (« Loi limitant l’accès en ligne des jeunes au matériel sexuellement explicite ») érigerait en infraction le fait pour les services en ligne de rendre accessible aux enfants du matériel sexuellement explicite sur Internet, tout en obligeant les internautes canadiens à se soumettre à une vérification de l’âge pour accéder à de la pornographie adulte en ligne2.
Le 10 juin 2024, le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada (CPVP) a lancé une consultation exploratoire sur la protection de la vie privée et la confirmation de l’âge3. La position préliminaire du CPVP est qu’« il est possible de concevoir et d’utiliser des systèmes de confirmation de l’âge d’une manière qui protège la vie privée ».
Mesures en faveur de la confirmation de l’âge à l’étranger
Pendant que les discussions sur la confirmation de l’âge se poursuivent au Canada, il convient de noter que d’autres juridictions, dont le Royaume-Uni, l’Allemagne, la France et plusieurs États américains, ont déjà mis en place des lois ou des systèmes de confirmation de l’âge pour limiter l’exposition des enfants à la pornographie adulte.
Dans le cas particulier du Royaume-Uni, l’Office des communications (Ofcom), qui réglemente les services de communication dans ce pays, a récemment publié ses orientations provisoires sur la confirmation de l’âge, lesquelles prévoient des méthodes jugées « très efficaces4 ». Ce document présente plusieurs méthodes de confirmation de l’âge que les entreprises peuvent mettre en place se conformer aux obligations de confirmation de l’âge prévues dans la nouvelle réglementation la sécurité en ligne au Royaume-Uni (portefeuilles numériques, vérifications par carte de crédit, estimation faciale de l’âge, systèmes bancaires ouverts, etc.). La liste est longue, mais l’Ofcom entend quand même continuer de « réviser [sa] position au fur et à mesure de l’évolution des technologies ».
Dans d’autres régions, comme en Australie, en Espagne et dans l’UE, des systèmes de confirmation de l’âge sont proposés ou mis à l’essai à la suite d’études et de consultations publiques officielles.
La direction générale des réseaux de communication, du contenu et de la technologie (Connect) de la Commission européenne a tenu, en janvier 2024, la première réunion du groupe de travail sur la vérification de l’âge au titre de la législation sur les services numériques. Sous l’égide de ce groupe de travail, la Commission a lancé dans six États membres un projet pilote de validation de principe sur l’utilisation du portefeuille d’identité numérique de l’UE pour la vérification de l’âge5. Les États membres ont eu l’occasion de présenter leurs propres approches nationales en matière de vérification de l’âge et de discuter des tâches du groupe de travail.
Dans son récent rapport sur la confirmation de l’âge, la Commission européenne se penche sur les aspects juridiques et pratiques de la confirmation de l’âge et met en avant sa nécessité ainsi que les méthodes et les défis qui y sont associés6. La question, écrivent les auteurs, n’est pas de savoir si la confirmation de l’âge est nécessaire, mais plutôt comment elle doit être mise en œuvre.
En Australie, le Commissariat à la sécurité en ligne (eSafety Commissioner) a entamé en 2021 des études et des consultations avec les parties intéressées pour voir comment un mécanisme obligatoire de vérification de l’âge pourrait être mis en place en Australie. Le Commissariat a publié en août 2023 sa feuille de route pour la vérification de l’âge7. Malgré son refus initial de se lancer sur la voie de la confirmation de l’âge, le gouvernement australien a annoncé, le 1er mai 2024, l’octroi d’un financement de 6,5 millions de dollars pour la mise à l’essai d’un mécanisme de confirmation de l’âge afin de protéger les enfants contre les contenus nocifs, dont la pornographie juvénile8. Ce projet pilote se déroulera parallèlement à d’autres interventions visant à empêcher les enfants et les adolescents d’accéder facilement à des contenus nocifs et à lutter contre la misogynie extrême sur Internet. Le 2 juillet 2024, les médias rapportaient que le gouvernement australien élargissait sa mise à l’essai de technologies de confirmation de l’âge pour étudier la possibilité de bloquer l’accès des enfants mineurs aux plateformes de médias sociaux (en plus des sites pour adultes)9.
Répondre aux préoccupations en matière de respect de la vie privée
L’une des craintes les plus souvent exprimées par rapport aux technologies de confirmation de l’âge est que leur mise en œuvre ne finisse par porter atteinte au droit à la vie privée des adultes. Des solutions pour préserver la vie privée ont été proposées ailleurs, dont l’utilisation de jetons chiffrés émis par un tiers de confiance, comme un organisme gouvernemental ou un secteur réglementé, par exemple le secteur financier. À notre sens, les solutions idéales nécessitent une approche globale et multipartite.
Des solutions partielles existent, comme le transfert par l’éditeur de la vérification de l’âge à des appareils ou à des magasins d’applications. Ces solutions peuvent toujours s’intégrer dans une approche à plusieurs niveaux, mais elles ne sauraient suffire à elles seules. L’éditeur doit assumer lui-même une part de responsabilité dans la limitation de l’accès à des contenus pour adultes.
Recommandation
Modifier le projet de loi C-63 afin d’y inclure une obligation pour les services en ligne réglementés d’utiliser des mesures efficaces de confirmation de l’âge afin qu’ils puissent remplir leurs obligations à l’égard des enfants au titre du projet de loi sur les préjudices en ligne.
Notes de bas de page
- 1 https://www.canada.ca/content/dam/hc-sc/documents/programs/consultation-reducing-youth-access-appeal-vaping-products-potential-regulatory-measures/consultation-reducing-youth-access-appeal-vaping-products-potential-regulatory-measures-fra.pdf ↩
- 2 https://www.parl.ca/legisinfo/fr/projet-de-loi/44-1/s-210 ↩
- 3 https://www.priv.gc.ca/fr/a-propos-du-commissariat/ce-que-nous-faisons/consultations/consultation-age/expl_gd_age/ ↩
- 4 https://www.ofcom.org.uk/online-safety/protecting-children/implementing-the-online-safety-act-protecting-children ↩
- 5 hhttps://digital-strategy.ec.europa.eu/en/news/digital-services-act-task-force-age-verification ↩
- 6 https://digital-strategy.ec.europa.eu/fr/library/research-report-mapping-age-assurance-typologies-and-requirements ↩
- 7 https://www.esafety.gov.au/sites/default/files/2023-08/Roadmap-for-age-verification_2.pdf?v=1719428417973 ↩
- 8 https://www.pm.gov.au/media/press-conference-sydney-15 ↩
- 9 https://www.theguardian.com/australia-news/article/2024/jul/02/social-media-porn-site-ban-australia-trial-age-assurance ↩